Histoire de la Monnaie
Les pages d’histoire de la monnaie de l’A.N.A…..un extrait d’Armor Numis !

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Les Bronzes Romains :

contremarques et autres aventures.

 

Michel Michaud

 

 

 

                                                                                                        

   Qu’on me pardonne de revenir sur ma passion des bronzes romains, une fièvre née de la trouvaille d’un beau sesterce jailli du sable de ma vieille amie la Loire.   

 

… De jeunes collectionneurs m’apportèrent un jour une de ces monnaies d’Auguste très usées où l’on trouve marqué en creux un rectangle d’où ressortent  en relief les cinq lettres N.C.A.P.R. Je leur expliquai qu’il s’agissait d’une contremarque assez fréquente que les Romains frappaient, dans les années du Haut  Empire, sur les bronzes dont l’usure excessive rendait nécessaire ce « certificat » du sénat romain attestant l’authenticité de la monnaie. Les caractères signifiaient  « Nummus Cusus Auctoritate Populi Romani », c’est-à-dire « Monnaie Frappée  (du verbe Latin « cudere » dont « cusus » est le participe passé) sous l’Autorité du Peuple Romain »  Il s’agit là d’une contremarque dont je montre ici deux exemplaires, l’une au revers d’un sesterce d’Auguste, où l’on devine l’empereur assis sur un char tiré par quatre éléphants saluant la foule (Photos 1) (en délire puisque ce sont des  romains !),et l’autre, semblable contremarque, à l’avers d’un autre sesterce de Claudius Drusus (père de Claude et de Germanicus).Sur cette dernière, le relief des caractères est cependant moins net…(Photos 2)

 

cliché (1)-a-1

 

Photos 1                                  Photo 2

           

 

    Une autre contremarque que l’on rencontre assez souvent gravée sur les bronzes du Haut Empire est le « PROB » qui signifie « Probatus » en Latin, pour impliquer l’idée de « chose approuvée »…par le sénat et…le peuple romain évidemment, puisque c’était le sens même de l’expression bien connue « Senatus populusque romanus ».

 

 

    Sans doute aurais-je dû  signaler  une contremarque particulièrement intéressante de la période que nous venons de traiter : il s’agit de celle que l’on trouve utilisée sur des sesterces usés « jusqu’à la corde », pourrait-on dire , des monnaies où le visage de l’empereur est presque complètement effacé ; la frappe  a alors marqué, toujours en creux, la légende « DVP », pour « duplex » en latin ; et le sens qui doit être saisi est que la monnaie ne possède  que la moitié de la valeur  du sesterce primitif (on traduit donc « divisé par deux », nous dit le dictionnaire Gaffiot ).                    

                      

   Toutes ces frappes et bien d’autres, comme ce « TIBERIO » (Photos 3), que l’on trouve sur l’as d’Auguste qui fut frappé et multiplié à Lyon, avec l’autel à son revers , on ne les trouve que sur des bronzes romains. Seules quelques monnaies consulaires d’argent peuvent se trouver ainsi marquées à l’époque de Vespasien, et elles ont  pu « durer » quelques années de plus, dit-on, sous Titus, avec la contremarque « IMP.VESP »...

 

 

cliché (2)-a

Photos 3

 

              

     Pour en revenir aux empereurs Julio-Claudiens, il faut aussi reconnaître que les troupes qui séjournaient en Germanie, par exemple, ou d’autres même qui allaient se battre plus loin, devaient utiliser des bronzes portant les contremarques « TIB AUG, TIB IMP, ou TI CLAV », sans doute pour leur rappeler les noms de Tibère et de Claude, empereurs pour la gloire desquels ils se battaient. A la fin du règne de Néron, pour éloigner le spectre de la guerre civile et éviter d’autres désordres sur  le plan militaire, on fit frapper sur les bronzes qui accompagnaient les troupes  les contremarques « S.P.Q.R », «P.R. » et « VIT », les  deux premières pour la Gaule, et la troisième utilisée sur ses sesterces par Vitellius en route vers Rome où il allait ….se faire assassiner dans son palais par les légions fidèles à Vespasien….et par la populace.

 

 

    Mais les divers ateliers frappant monnaie n’utilisaient pas que des lettres pour leurs contremarques. Dans les provinces, surtout les plus éloignées, l’usure du numéraire rendit nécessaire la refrappe en petit format du portrait même de l’empereur ou de l’impératrice. C’est ce que vous pouvez voir, ou tout au moins deviner, sur ce bronze provincial de Bithynie (Photos 4), frappé du portrait (très usé) d’Adrien , et contremarqué en bas, à droite du même portrait, d’une petite frappe ronde en creux. Il en va de même aussi pour cet autre grand  bronze colonial de Julia Domna, épouse de Septime Sévère, dont le portrait est répété à l’intérieur d’une petite contremarque ronde (Photos 5), toujours en bas à droite (simple coïncidence). Ce dernier bronze a été frappé à Alabanda avant 217..

 

cliché (3)-a-1

Photos 4                                           Photos 5

 

 

    Le titre de cet article s’achève sur un tour quelque peu mystérieux, avec les mots « et autres  aventures »…… J’ai voulu laisser entendre qu’à mon goût, ce qui faisait le charme des bronzes romains « même bizarres » en numismatique, ce pouvait être mille autres détails étonnants de « gestes manqués » de la part des protagonistes, ouvriers ou autres… Tel ce sesterce de Philippe l’Arabe, en 244-249 (Photos 6) où l’on trouve au bas du revers, sous l’éléphant « C.S. » au lieu de l’habituel « S.C. » ( mais ne peut-on pas dire en La tin aussi bien « consulto Senato » que « Senato  Consulto » ?) Après tout, il ne s’agissait que d’une erreur bénigne du graveur des outils…

 

cliché (4)-a       cliché (5)-a

Photos 6                             Photos 7

        

Autre « bavure » : les quelques monnaies « incuses » que l’on peut aussi trouver parmi les bronzes romains. Il n’y en a que très très  peu (seul rare témoin pour moi, cet as de Geta, que son revers répète comme en négatif creux) (« essai » de Photos 7) A cette erreur de frappe, il a de tout temps été très difficile de trouver une explication satisfaisante : le monnayeur avait-il oublié d’enlever la monnaie précédemment frappée et restée sur le coin-matrice ? Avait-il disposé deux flans-disques l’un sur l’autre avant le geste de la frappe ? On peut tout imaginer ……De toutes façons, c’est là une « faute de frappe » dont les exemples se multiplieront ensuite au cours des siècles.

           

Mais une des apparentes « aventures » qui semble avoir posé le plus de problèmes est  celle qui concerne cette célèbre monnaie que les débutants rencontrent très vite : l’As dit « de Nîmes ». Cet « as » que David S. Sear appelle un « dupondius » dans son ouvrage « ROMAN COINS AND  THEIR VALUES » ,  présente à son avers les têtes adossées d’Agrippa coiffé de la couronne rostrale à gauche, et celle d’Auguste lauré à droite. Son revers porte une dénomination en six lettres « COL » « NEM » (colonia Nemausus) qui désigne Nîmes, au-dessus d’un crocodile enchaîné à un palmier lui-même surmonté d’une couronne. Or, cette monnaie, que nous continuerons d’appeler un As comme tous les vieux numismates, est  très souvent retrouvée autour de Nîmes, mais en des milliers d’exemplaires aussi dans les eaux de nombreux fleuves, comme la Loire, par exemple ; et, chose étrange, bizarrement coupée  en deux exactement entre la tête d’Agrippa et celle d’Auguste…. (Photos 8)

 

cliché (6)

 

Photos 8

 

  On peut ici imaginer beaucoup de raisons à cette mutilation brutale d’un « as-dupondius » (voir plus loin) qui aurait pu s’avérer utile, par exemple, à  l’intérieur d’une légion romaine … Elle pouvait être du type « Combien te dois-je, Mordicus ?  Un semis ?  Zuto zutorum, je n’ai pas de menue monnaie !» …Et de couper en deux l’As de Nîmes, d’un coup du tranchant de son glaive… pour rembourser sa dette. 

Cependant je me permets d’ajouter un renseignement important et, cette fois,  sans plaisanter sur la question, renseignement qui confirme ce que j’allais écrire de sérieux pour votre gouverne : mon ami Guy Collin, spécialiste éclairé du  numéraire Romain m’avait écrit à propos des susdits « As de Nîmes » : 

«  Je vais te dire ce dont on parle à partir des  recherches et commentaires  récents. Il  s’agirait d’abord de DUPONDIUS et non plus d’as.  C’est la métrologie de ces monnaies qui les fait entrer dans la catégorie des « dupondii ».  L’origine de ce phénomène (la « mutilation » des pièces) en est la pénurie de « petites  monnaies que l’on rencontre sur le territoire de la Gaule, avec la fin du règne d’Auguste  jusqu’à pratiquement la fin de celui de Tibère. Pour y remédier, les usagers utilisent un artifice, qui consiste donc à  couper en  deux un « double » ( le dupondius)  pour obtenir 2  As, qui circulent donc ainsi pour la moitié de leur valeur de départ. Les monnaies, de  préférence celles à  2 visages concernent ces quatre villes : Nîmes, Vienne, Narbonne, Orange. Ces 3  dernières se rencontrent aujourd’hui beaucoup moins souvent, car, plus  lourdes au départ, elles disparaissent de la circulation au profit des plus  légères. Seuls  restent, et en grande  abondance, les NÏMES qui circuleront partout en  Gaule pendant une  bonne partie du premier siècle. »

         

   Merci, mon cher Guy…Et voilà donc désormais réglée la question des « DUPONDIUS » de Nîmes…….. Indépendamment du fait que l’on puisse découvrir par centaines un peu partout les dupondii de Nîmes coupés en deux, j’aimerais citer une « aventure » du même genre (donc tout de même en relation avec ce phénomène du bronze monétaire « tranché ») ; mais plutôt que d’une aventure, c’est d’une trouvaille singulièrement semblable qu’il s’agit et vous la verrez sur un des clichés qui accompagnent cet article… Il s’agit d’un sesterce d’un empereur  bien connu : l’empereur Maximin Thrax (235-238). Je l’ai trouvé dans ce même état de monnaie mutilée sans raison apparente, deux cents ans donc, en gros, après l’époque des dupondii de Nîmes   … Le coup porté par l’instrument qui se voulait fatal (à l’image de l’empereur sans doute ?) a dû être frappé sur le revers de la monnaie. Le sesterce a  été coupé en deux, mais de telle sorte que, comme vous pouvez le constater sur le cliché (Photos 9), la ligne du visage de l’empereur a été non pas abîmée, mais dégagée intacte…et très nette. La partie sectionnée de la monnaie ne comprenait donc que la titulature à droite et un espace du flan.

cliché (7)-a

Photos 9

 

    Terminons ici ces quelques pages avec l’accident « heureux » d’un sesterce de Maximin… Il est bien sûr évident que l’on pourrait encore citer d’autres « aventures » survenues aux bronzes Romains, telles celles des surcharges, par exemple, du visage de Postume que l’on retrouve de façon inattendue à cheval sur les traits de  ......  Marc-Aurèle !!…  Mais ceci, comme beaucoup d’autres événements numismatiques, est une autre histoire.

 

 

                                                                                       Michel MICHAUD