Histoire de la Monnaie
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Qu’on me pardonne de revenir
sur ma passion des bronzes romains, une fièvre née de la
trouvaille d’un beau sesterce jailli du sable de ma vieille amie la
Loire.
…
De jeunes collectionneurs m’apportèrent un jour une de ces
monnaies d’Auguste très usées où l’on trouve
marqué en creux un rectangle d’où ressortent en relief les cinq lettres N.C.A.P.R. Je
leur expliquai qu’il s’agissait d’une contremarque assez
fréquente que les Romains frappaient, dans les années du
Haut Empire, sur les bronzes dont
l’usure excessive rendait nécessaire ce
« certificat » du sénat romain attestant
l’authenticité de la monnaie. Les caractères
signifiaient « Nummus
Cusus Auctoritate Populi Romani », c’est-à-dire
« Monnaie Frappée
(du verbe Latin « cudere » dont
« cusus » est le participe passé) sous
l’Autorité du Peuple Romain » Il s’agit là d’une
contremarque dont je montre ici deux exemplaires, l’une au revers
d’un sesterce d’Auguste, où l’on devine
l’empereur assis sur un char tiré par quatre
éléphants saluant la foule (Photos 1) (en délire puisque
ce sont des romains !),et l’autre, semblable
contremarque, à l’avers d’un autre sesterce de Claudius
Drusus (père de Claude et de Germanicus).Sur cette dernière, le
relief des caractères est cependant moins net…(Photos 2)
Photos 1
Photo 2
Une autre contremarque que
l’on rencontre assez souvent gravée sur les bronzes du Haut Empire
est le « PROB » qui
signifie « Probatus » en Latin, pour impliquer
l’idée de « chose
approuvée »…par le sénat et…le peuple
romain évidemment, puisque c’était le sens même de
l’expression bien connue « Senatus populusque
romanus ».
Sans doute aurais-je
dû signaler une contremarque particulièrement
intéressante de la période que nous venons de traiter : il
s’agit de celle que l’on trouve utilisée sur des sesterces
usés « jusqu’à la corde »,
pourrait-on dire , des monnaies où le visage de l’empereur est
presque complètement effacé ; la frappe a alors marqué, toujours en
creux, la légende « DVP », pour
« duplex » en latin ; et le sens qui doit être
saisi est que la monnaie ne possède
que la moitié de la valeur
du sesterce primitif (on traduit donc « divisé par
deux », nous dit le dictionnaire Gaffiot ).
Toutes ces frappes et bien
d’autres, comme ce « TIBERIO » (Photos
3), que l’on trouve sur l’as d’Auguste qui fut
frappé et multiplié à Lyon, avec l’autel à
son revers , on ne les trouve que sur des bronzes romains. Seules quelques
monnaies consulaires d’argent peuvent se trouver ainsi marquées
à l’époque de Vespasien, et elles ont pu « durer »
quelques années de plus, dit-on, sous Titus, avec la contremarque
« IMP.VESP »...
Photos 3
Pour en revenir aux
empereurs Julio-Claudiens, il faut aussi reconnaître que les troupes qui
séjournaient en Germanie, par exemple, ou d’autres même qui
allaient se battre plus loin, devaient utiliser des bronzes portant les
contremarques « TIB AUG, TIB IMP, ou TI CLAV », sans
doute pour leur rappeler les noms de Tibère et de Claude, empereurs pour
la gloire desquels ils se battaient. A la fin du règne de Néron,
pour éloigner le spectre de la guerre civile et éviter
d’autres désordres sur
le plan militaire, on fit frapper sur les bronzes qui accompagnaient les
troupes les contremarques
« S.P.Q.R », «P.R. » et
« VIT », les
deux premières pour la Gaule, et la troisième utilisée
sur ses sesterces par Vitellius en route vers Rome où il allait
….se faire assassiner dans son palais par les légions
fidèles à Vespasien….et par la populace.
Mais les divers ateliers
frappant monnaie n’utilisaient pas que des lettres pour leurs
contremarques. Dans les provinces, surtout les plus éloignées,
l’usure du numéraire rendit nécessaire la refrappe en petit
format du portrait même de l’empereur ou de
l’impératrice. C’est ce que vous pouvez voir, ou tout au
moins deviner, sur ce bronze provincial de Bithynie (Photos 4), frappé
du portrait (très usé) d’Adrien , et contremarqué en
bas, à droite du même portrait, d’une petite frappe ronde en
creux. Il en va de même aussi pour cet autre grand bronze colonial de Julia Domna,
épouse de Septime Sévère, dont le portrait est
répété à l’intérieur d’une
petite contremarque ronde (Photos 5), toujours en bas à
droite (simple coïncidence). Ce dernier bronze a été
frappé à Alabanda avant 217..
Photos 4
Photos 5
Le titre de cet article
s’achève sur un tour quelque peu mystérieux, avec les mots
« et autres
aventures »…… J’ai voulu laisser entendre
qu’à mon goût, ce qui faisait le charme des bronzes romains
« même bizarres » en numismatique, ce pouvait
être mille autres détails étonnants de « gestes
manqués » de la part des protagonistes, ouvriers ou
autres… Tel ce sesterce de Philippe l’Arabe, en 244-249 (Photos
6) où l’on trouve au bas du revers, sous
l’éléphant « C.S. » au lieu de
l’habituel « S.C. » ( mais ne peut-on pas dire en
La tin aussi bien « consulto Senato » que
« Senato
Consulto » ?) Après tout, il ne s’agissait
que d’une erreur bénigne du graveur des outils…
Photos 6
Photos 7
Autre
« bavure » : les quelques monnaies
« incuses » que l’on peut aussi trouver parmi les
bronzes romains. Il n’y en a que très très peu (seul rare témoin pour moi,
cet as de Geta, que son revers répète comme en négatif
creux) (« essai » de Photos 7) A cette erreur de
frappe, il a de tout temps été très difficile de trouver
une explication satisfaisante : le monnayeur avait-il oublié
d’enlever la monnaie précédemment frappée et
restée sur le coin-matrice ? Avait-il disposé deux
flans-disques l’un sur l’autre avant le geste de la frappe ?
On peut tout imaginer ……De toutes façons, c’est
là une « faute de frappe » dont les exemples se
multiplieront ensuite au cours des siècles.
Mais
une des apparentes « aventures » qui semble avoir
posé le plus de problèmes est celle qui concerne cette
célèbre monnaie que les débutants rencontrent très
vite : l’As dit « de Nîmes ». Cet
« as » que David S. Sear appelle un
« dupondius » dans son ouvrage « ROMAN
COINS AND THEIR VALUES »
, présente à son
avers les têtes adossées d’Agrippa coiffé de la
couronne rostrale à gauche, et celle d’Auguste lauré
à droite. Son revers porte une dénomination en six lettres
« COL » « NEM » (colonia Nemausus)
qui désigne Nîmes, au-dessus d’un crocodile
enchaîné à un palmier lui-même surmonté
d’une couronne. Or, cette monnaie, que nous continuerons d’appeler
un As comme tous les vieux numismates, est
très souvent retrouvée autour de Nîmes, mais en des
milliers d’exemplaires aussi dans les eaux de nombreux fleuves, comme la
Loire, par exemple ; et, chose étrange, bizarrement
coupée en deux exactement
entre la tête d’Agrippa et celle d’Auguste….
(Photos 8)
Photos 8
On peut ici imaginer beaucoup de raisons
à cette mutilation brutale d’un
« as-dupondius » (voir plus loin) qui aurait pu
s’avérer utile, par exemple, à l’intérieur d’une
légion romaine … Elle pouvait être du type
« Combien te dois-je, Mordicus ? Un semis ? Zuto zutorum, je
n’ai pas de menue monnaie !» …Et de couper en deux
l’As de Nîmes, d’un coup du tranchant de son glaive…
pour rembourser sa dette.
Cependant
je me permets d’ajouter un renseignement important et, cette fois, sans plaisanter sur la question,
renseignement qui confirme ce que j’allais écrire de
sérieux pour votre gouverne : mon ami Guy Collin,
spécialiste éclairé du numéraire Romain m’avait
écrit à propos des susdits « As de
Nîmes » :
«
Je vais te dire ce dont on parle à
partir des recherches et commentaires récents. Il s’agirait d’abord de
DUPONDIUS et non plus d’as. C’est la métrologie
de ces monnaies qui les fait entrer dans la catégorie des
« dupondii ». L’origine de ce
phénomène (la « mutilation » des
pièces) en est la pénurie de « petites monnaies
que l’on rencontre sur le territoire de la Gaule, avec la fin du
règne d’Auguste jusqu’à pratiquement la
fin de celui de Tibère. Pour y remédier, les
usagers utilisent un artifice, qui consiste donc à couper en deux un « double »
( le dupondius) pour obtenir 2 As, qui circulent donc ainsi pour la
moitié de leur valeur de départ. Les monnaies, de
préférence celles à 2 visages concernent ces quatre
villes : Nîmes, Vienne, Narbonne, Orange. Ces 3
dernières se rencontrent aujourd’hui beaucoup moins souvent,
car, plus lourdes au départ, elles disparaissent de la circulation
au profit des plus légères. Seuls restent, et en
grande abondance, les NÏMES qui circuleront partout en Gaule
pendant une bonne partie du premier siècle. »
Merci, mon cher Guy…Et
voilà donc désormais réglée la question des
« DUPONDIUS » de Nîmes……..
Indépendamment du fait que l’on puisse découvrir par centaines
un peu partout les dupondii de Nîmes coupés en deux,
j’aimerais citer une « aventure » du même
genre (donc tout de même en relation avec ce phénomène du
bronze monétaire « tranché ») ;
mais plutôt que d’une aventure, c’est d’une trouvaille
singulièrement semblable qu’il s’agit et vous la verrez sur
un des clichés qui accompagnent cet article… Il s’agit
d’un sesterce d’un empereur
bien connu : l’empereur Maximin Thrax (235-238). Je
l’ai trouvé dans ce même état de monnaie
mutilée sans raison apparente, deux cents ans donc, en gros,
après l’époque des dupondii de Nîmes … Le coup porté par
l’instrument qui se voulait fatal (à l’image de l’empereur
sans doute ?) a dû être frappé sur le revers de la
monnaie. Le sesterce a
été coupé en deux, mais de telle sorte que, comme
vous pouvez le constater sur le cliché (Photos 9), la ligne du
visage de l’empereur a été non pas abîmée,
mais dégagée intacte…et très nette. La partie
sectionnée de la monnaie ne comprenait donc que la titulature à
droite et un espace du flan.
Photos 9
Terminons ici ces quelques pages
avec l’accident « heureux » d’un sesterce de
Maximin… Il est bien sûr évident que l’on pourrait
encore citer d’autres « aventures » survenues aux
bronzes Romains, telles celles des surcharges, par exemple, du visage de
Postume que l’on retrouve de façon inattendue à cheval
sur les traits de ...... Marc-Aurèle !!…
Mais ceci, comme beaucoup d’autres événements numismatiques,
est une autre histoire.
Michel MICHAUD