Histoire de la Monnaie
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Au début de son cours sur
Élagabal à l’université de Paris I, en 1998, Michel Christol porte le
titre « Élagabal :
un échec à la tête de l’État », et je dois dire que dès l’abord,
c’est cette définition peu commune -à propos d’un empereur romain- qui m’a
frappé. Mais lorsqu’on avance un peu dans la lecture de « l’épopée Élagabal », le titre nous apparaît
amplement justifié. Parcourons-en les péripéties ...
Né en 2O3 de notre ère à
Émèse, en Syrie, Varius Avitus Bassianus est le fils de Sextus Varius Marcellus
et de Julia Soaemias, fille aînée de Julia Maesa, qui, elle, était sœur de
Julia Domna, épouse du défunt et glorieux Septime-Sévère, père de Caracalla.
Macrin a succédé à Caracalla.
Mais son règne d’une année aura laissé bien peu de souvenirs à Rome, sinon celui de ses défaites dans sa
lutte contre les Parthes avec les légions de l’Est ...
Sesterce au nom de Julia Maesa
Et voilà que l’on voit peu à peu monter à l’horizon
de Rome le personnage de Julia Maesa, dont
nous venons de dire qu’elle est la grand’mère de Bassianus, cet
enfant que l’histoire
nommera Élagabal ou Héliogabale, car
malgré sa jeunesse, il sera créé grand-prêtre du dieu d’Émèse,
Élah-Gabal, dieu du soleil. De nombreuses monnaies de cette époque, sesterces surtout, nous
racontent par leurs revers sa « consécration ».
Rare bronze d’Élagabal frappé à Éphèse
Les historiens latins, Dion
Cassius en particulier, qui ne semble pas estimer beaucoup Élagabal, nous dit
que c’est
Julia Maesa qui a comploté
contre Macrin pour renverser le régime et pousser en avant son petit-fils
Bassianus. Et l’histoire se
lit comme un roman : la grand’mère répand le bruit qu’Élagabal est le fils des relations coupables de sa fille
Soaemias et de Caracalla auquel d’ailleurs, dit-on (et « on », bien sûr, est encore Julia
Maesa), l’enfant ressemble comme... deux gouttes d’eau, évidemment.
Mais la ruse réussit, et le
jeune prince-prêtre, assuré du soutien d’une immense armée romaine, se voit proclamé empereur contre
Macrin, sous le nom de Marcus Aurelius Antoninus. Trois semaines passent, et
son armée rencontre celle de Macrin près d’Antioche de Syrie. Victoire d’Élagabale
... On s’y attendait. Macrin connaîtra
peu après une fin sans gloire. Et Julia Maesa sera en quelque sorte
« impératrice » de Rome, celle qui mènera en fait tout le jeu
politique ...
Sesterce d’Élagabale
A l’avers,
la légende M AVR ANTONINVS rappelle son « nom
impérial » :
Marcus Aurelius
Antoninus
De même sur ce bronze colonial à légende
grecque
Le
jeune empereur ordonne alors que l’on
transporte à Rome la pierre sacrée du dieu-soleil, énorme rocher conique d’origine
probablement météorique. L’objet soumis à la vénération du peuple est supposé représenter le principal dieu du
panthéon romain ; il est déposé au sommet du mont palatin après un
parcours que nous montre un rare tétradrachme de billon d’Alexandrie.
A l’arrivée à Rome de la suite impériale, nous sommes en l’été de 219. Une cérémonie d’une grande
solennité est alors organisée, au cours
de laquelle on (toujours Julia Maesa) fait épouser à l’empereur de 15 ans l’aristocratique Julia Paula. Ce ne sera que sa première
épouse, puisque leur union durera moins d’un an et demi. C’est la mère de
l’empereur, Julia Soaemias, qui encouragera l’adolescent à un fanatisme à la fois religieux et ... sexuel,
puisque, nous dit encore Dion
Cassius, il osera, au grand scandale de la société romaine (la « jet
set » de l’époque) répudier Julia Paula (voir sesterce) pour épouser une Vestale (les
vierges consacrées du monde romain) : Aquilia Severa, en 220.
Sesterce au nom de Julia Paula
A ce moment, notre chère Julia
Maesa, la grande restauratrice des Sévères -car il faut bien admettre que c’est
là son œuvre principale et peut-être son mérite-, se rend compte qu’elle perd le contrôle de
la situation et que tout ce qu’elle a réalisé est sérieusement mis en danger par la conduite scandaleuse de
sa fille et l’inconscience de notre jeune prêtre du soleil. Elle (Julia Maesa) va donc tenter de
reprendre le dessus en persuadant Élagabal -qui ne demande que cela- de
divorcer d’Aquilia Severa pour épouser la patricienne Annia Faustina (et
de trois !), descendante
de Marc Aurèle (et ici, on ne rit plus du cher et authentique philosophe). Mais
tous les historiens nous ont bien prévenus que le « petit » aimait le
sexe. Et c’est alors que, parallèlement à ce mariage, Julia Maesa, toujours retorse, va
promouvoir au rang de César, donc grand général des armées, Alexianus, cousin
de l’empereur.
Dès lors, la manoeuvre de
Maesa paraît aux yeux de tous absolument normale, puisque tout Auguste (=
empereur) se doit d’être secondé par un César). Cet Alexianus qui va bientôt s’appeler Alexandre
Sévère, est le fils de la plus
jeune des filles de Maesa : Julia Mamaea, de plus, il est très estimé par
toute l’armée, malgré
son jeune âge, lui aussi. Et il ne faut pas oublier qu’à
Rome, l’estime de l’armée,
qui se traduit par des acclamations solennelles, est chose primordiale pour un général en chef. Aux
yeux des soldats, en effet, il apparaît comme l’égal de l’empereur ...
D’où : jalousie d’Élagabale
qui a besoin de se persuader
très fort que c’est lui qui commande.
On a compris tout de suite que
les dernières années d’Élagabal ne vont pas non plus être
très... gaies. En Mars 222, le
jeune empereur essaie de dépouiller Alexandre de son statut de César. La garde
prétorienne, qui commence à se fatiguer des simagrées d’Élagabal
(on peut aussi penser qu’ils devaient en
rire) se mutine et assassine le jeune
empereur dissolu ET sa mère Soaemias. On remarquera avec quel brio Julia Maesa
tire alors son épingle du jeu. Or, c’est ELLE qui a fomenté la rébellion de
la garde prétorienne ; et
les historiens ne la présentent pas même comme ayant été en quelque sorte
soutenue par Alexandre Sévère, qui est toujours cité comme un personnage très
doux.
Dans les années qui vont
suivre, elle disparaîtra dans une retraite dont le lieu ne nous est pas donné.
On ne sait d’elle que le fait
qu’elle
confie ... la surveillance (?) du
nouvel empereur Alexandre Sévère à sa plus jeune fille Julia Mamaea qui lui
succède dans son rôle politique , tandis que l’empereur lui-même semble
se contenter de
« Déifier » sa grand’mère (le monnayage portera donc le terme « DIVA »). D’ailleurs
Julia Maesa est une des femmes de l’époque
des Sévères qui se verra reconnue par le plus grand nombre d’aurei , de sesterces et d’antoniniens, sans parler des frappes coloniales et
autres.
Si l’époque
est apparue aux yeux du monde
romain comme celle d’un « échec
à la tête de l’empire »,
il est évident que l’image ne pouvait se référer qu’à la personne d’Élagabal, qui est resté
pendant toute la durée de son règne un
adolescent maniaco-dépressif, immature et tyrannique, en dépit de son titre de
« Grand-prêtre du soleil invaincu » (sacerdos amplissimus invicti solis Elagabali). Et les quelques
monnaies que nous présentons en conclusion de cette « suite pour un
échec » vous feront goûter un peu du sel de ce moment historique de notre
chère vieille histoire romaine.