Histoire de la Monnaie
Les pages d’histoire de la monnaie de l’A.N.A…..un extrait d’Armor Numis !

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Élagabal : un empereur créé par les femmes (218 – 222)

Le règne de Julia Maesa

 

Michel Michaud

 

 

Au début de son cours sur Élagabal à l’université de Paris I, en 1998, Michel Christol porte le titre « Élagabal : un échec à la tête de l’État », et je dois dire que dès l’abord, c’est cette définition peu commune -à propos d’un empereur romain- qui m’a frappé. Mais lorsqu’on avance un peu dans la lecture de « l’épopée Élagabal », le titre nous apparaît amplement justifié. Parcourons-en les péripéties ...

 

 

Né en 2O3 de notre ère à Émèse, en Syrie, Varius Avitus Bassianus est le fils de Sextus Varius Marcellus et de Julia Soaemias, fille aînée de Julia Maesa, qui, elle, était sœur de Julia Domna, épouse du défunt et glorieux Septime-Sévère, père de Caracalla.

 

Macrin a succédé à Caracalla. Mais son règne d’une année aura laissé bien peu de souvenirs à Rome, sinon celui de ses défaites dans sa lutte contre les Parthes avec les légions de l’Est ...

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Sesterce au nom de Julia Maesa

Et voilà que l’on voit peu à peu monter à l’horizon de Rome le personnage de Julia Maesa, dont nous venons de dire qu’elle est la grand’mère de Bassianus, cet enfant que l’histoire nommera Élagabal ou Héliogabale, car malgré sa jeunesse, il sera créé grand-prêtre du dieu d’Émèse, Élah-Gabal, dieu du soleil. De nombreuses monnaies de cette époque, sesterces surtout, nous racontent par leurs revers sa « consécration ».

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Rare bronze d’Élagabal frappé à Éphèse

 

Les historiens latins, Dion Cassius en particulier, qui ne semble pas estimer beaucoup Élagabal, nous dit que c’est Julia Maesa qui a comploté contre Macrin pour renverser le régime et pousser en avant son petit-fils Bassianus. Et l’histoire se lit comme un roman : la grand’mère répand le bruit qu’Élagabal est le fils des relations coupables de sa fille Soaemias et de Caracalla auquel d’ailleurs, dit-on (et « on », bien sûr, est encore Julia Maesa), l’enfant ressemble comme... deux gouttes d’eau, évidemment. Mais la ruse réussit, et le jeune prince-prêtre, assuré du soutien d’une immense armée romaine, se voit proclamé empereur contre Macrin, sous le nom de Marcus Aurelius Antoninus. Trois semaines passent, et son armée rencontre celle de Macrin près d’Antioche de Syrie. Victoire d’Élagabale ... On s’y attendait. Macrin connaîtra peu après une fin sans gloire. Et Julia Maesa sera en quelque sorte « impératrice » de Rome, celle qui mènera en fait tout le jeu politique ...

 

 

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Sesterce d’Élagabale

 

A l’avers, la légende M AVR ANTONINVS rappelle son « nom impérial » :

Marcus Aurelius Antoninus

 

 

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De même sur ce bronze colonial à légende grecque

Le jeune empereur ordonne alors que l’on transporte à Rome la pierre sacrée du dieu-soleil, énorme rocher conique d’origine probablement météorique. L’objet soumis à la vénération du peuple est supposé représenter le principal dieu du panthéon romain ; il est déposé au sommet du mont palatin après un parcours que nous montre un rare tétradrachme de billon d’Alexandrie. A l’arrivée à Rome de la suite impériale, nous sommes en l’été de 219. Une cérémonie d’une grande solennité est alors organisée, au cours de laquelle on (toujours Julia Maesa) fait épouser  à l’empereur de 15 ans l’aristocratique Julia Paula. Ce ne sera que sa première épouse, puisque leur union durera moins d’un an et demi. C’est la mère de l’empereur, Julia Soaemias, qui encouragera l’adolescent à un fanatisme à la fois religieux et ... sexuel, puisque, nous dit encore Dion Cassius, il osera, au grand scandale de la société romaine (la « jet set » de l’époque) répudier Julia Paula (voir sesterce) pour épouser une Vestale (les vierges consacrées du monde romain) : Aquilia Severa, en 220.

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Sesterce au nom de Julia Paula

 

A ce moment, notre chère Julia Maesa, la grande restauratrice des Sévères -car il faut bien admettre que c’est là son œuvre principale et peut-être son mérite-, se rend compte qu’elle perd le contrôle de la situation et que tout ce qu’elle a réalisé est sérieusement mis en danger par la conduite scandaleuse de sa fille et l’inconscience de notre jeune prêtre du soleil. Elle (Julia Maesa) va donc tenter de reprendre le dessus en persuadant Élagabal -qui ne demande que cela- de divorcer d’Aquilia Severa pour épouser la patricienne Annia Faustina (et de trois !), descendante de Marc Aurèle (et ici, on ne rit plus du cher et authentique philosophe). Mais tous les historiens nous ont bien prévenus que le « petit » aimait le sexe. Et c’est alors que, parallèlement à ce mariage, Julia Maesa, toujours retorse, va promouvoir au rang de César, donc grand général des armées, Alexianus, cousin de l’empereur. Dès lors, la manoeuvre de Maesa paraît aux yeux de tous absolument normale, puisque tout Auguste (= empereur) se doit d’être secondé par un César). Cet Alexianus qui va bientôt s’appeler Alexandre Sévère, est le fils de la plus jeune des filles de Maesa : Julia Mamaea, de plus, il est très estimé par toute l’armée, malgré son jeune âge, lui aussi. Et il ne faut pas oublier qu’à Rome, l’estime de l’armée, qui se traduit par des acclamations solennelles, est chose primordiale pour un général en chef. Aux yeux des soldats, en effet, il apparaît comme l’égal de l’empereur ... D’où : jalousie d’Élagabale qui a besoin de se persuader très fort que c’est lui qui commande.

 

On a compris tout de suite que les dernières années d’Élagabal ne vont pas non plus être très... gaies. En Mars 222, le jeune empereur essaie de dépouiller Alexandre de son statut de César. La garde prétorienne, qui commence à se fatiguer des simagrées d’Élagabal (on peut aussi penser qu’ils devaient en rire) se mutine et assassine  le jeune empereur dissolu ET sa mère Soaemias. On remarquera avec quel brio Julia Maesa tire alors son épingle du jeu. Or, c’est ELLE qui a fomenté la rébellion de la garde prétorienne ; et les historiens ne la présentent pas même comme ayant été en quelque sorte soutenue par Alexandre Sévère, qui est toujours cité comme un personnage très doux.

Dans les années qui vont suivre, elle disparaîtra dans une retraite dont le lieu ne nous est pas donné. On ne sait d’elle que le fait qu’elle confie ... la surveillance (?) du nouvel empereur Alexandre Sévère à sa plus jeune fille Julia Mamaea qui lui succède dans son rôle politique , tandis que l’empereur lui-même semble se contenter de « Déifier » sa grand’mère (le monnayage portera donc le terme « DIVA »). D’ailleurs Julia Maesa est une des femmes de l’époque des Sévères qui se verra reconnue par le plus grand nombre daurei , de sesterces et d’antoniniens, sans parler des frappes coloniales et autres.

 

Si l’époque est apparue aux yeux du monde romain comme celle d’un « échec à la tête de l’empire », il est évident que l’image ne pouvait se référer qu’à la personne d’Élagabal, qui est resté pendant toute la durée de son règne un adolescent maniaco-dépressif, immature et tyrannique, en dépit de son titre de « Grand-prêtre du soleil invaincu » (sacerdos amplissimus invicti solis Elagabali). Et les quelques monnaies que nous présentons en conclusion de cette « suite pour un échec » vous feront goûter un peu du sel de ce moment historique de notre chère vieille histoire romaine.